Lorsque j’ai entendu Arckanum pour la première fois, c’était à l’automne 2008, alors que Shamaatae, le Suédois derrière ce projet, sortait son quatrième album Antikosmos. Pour être plus précise, je traversais le parc Lafontaine à Montréal alors que les feuilles, contraste coloré contre le ciel gris, étaient soufflées de leurs branches par un vent un peu vif. Je me souviens d’avoir considéré cette traverse d’une quinzaine de minutes comme particulièrement absorbante. À cette petite tranche de vie, je suis certaine que vous avez déjà déduit qu’Arckanum se spécialise dans la division noire du métal, et vous n’auriez pas tort.
Antikosmos est assez direct dans son approche. Pas d’introduction ni de conclusion atmosphériques, pas de clavier, pas de passes symphoniques ou classiques. De la mélodie? Oui, certainement, de la même façon qu’est mélodique Dissection sans autre instrument qu’une seule guitare, une batterie et une bass, ou encore comme 1349, mais sans sa densité sonore caractéristique. Là où je veux en venir, c’est qu’Arckanum arrive, avec concision, froide détermination, obscure précision, à délivrer son message de fin du monde. Il ne faut pas s’y tromper cependant, il ne s’agit pas de satanisme, ou pas exactement. Shamaatae explore le côté chaotique de la mythologie scandinave. Quelques déités et créatures relatives au chaos sont invoquées à plusieurs reprises au cours des sept morceaux composant l’album. On compte particulièrement Gullveig, la contre partie féminine de Loke, ce dernier, bien sur, et ses (leurs) enfants, Jormundgandr, Fenris et Hel. Dès « Svarti », Shamaatae conjure ces incarnations anticosmiques vers Ragnarök, l’Apocalypse norroise. Toutes les paroles sont en ancien suédois et en vieux norrois, ce qui rend le tout pratiquement impossible d’accès. Cette inaccessibilité est exacerbée par le livret de l’album : l’on sait que si – ô si – les paroles sont fournies dans le livret d’un album de black metal, celles-ci seront présentées de façon au mieux illisibles. Cet album n’échappe en rien à la règle, toutefois, si le lettrage est très lisible, étant simplement blanc sur noir (contrairement, par exemple, aux paroles du dernier album de Horna « Sotahuuto » qui étaient d’un rouge brunâtre sur fond noir dans une police old english), tous les textes sont présentés sous forme de runes écrites de la même façon que celles-ci étaient gravées sur pierre par les Vikings au moment de leur suprématie. C’est un travail artistique indéniable et ambitieux de la part de l’homme derrière ce projet inamical. Pour rendre la chose encore plus radicale – car, non, écrire en rune ne l’est pas assez : Taake l’a fait aussi pour son dernier album, bien que celles-ci n’apparaissaient pas dans leur forme traditionnelle —, la plupart de ces caractères sont inversés (!). Mais je vais passer sur cette signification et reviendrai plutôt sur la musique même.
Black métal dépouillé de tout sauf des sentiments les plus noirs, les plus négatifs que l’être humain est capable de susciter aux autres et en lui-même, Antikosmos ne manque pourtant pas de charme pour ceux aptes à passer outre sa totale insensibilité. Malgré la guitare souvent propre à transir, celle-ci est capable d’élaborer une composition solide et entraînante, tel « Svarti », dès la fin de l’incantation, ou encore « Røkulfargnýr » qui, avec le rythme rapide et rigide de la batterie, a de quoi briser tout réserve. Le mot d’ordre est efficacité : c’est un incontournable. Pour cette pièce d’ailleurs, comme pour les corbeaux dans « Sú Vitran », l’ajout de hurlements de loups est particulièrement bien pensé. Aussi, l’implication de la batterie n’est pas négligeable. Capable de rapidité comme de lourdeur, son apport rythmique est essentiel : la langue dans laquelle Shamaatae s’exprime est très cadencée de nature, mais, appuyée par l’insistance de l’artillerie lourde, celle-ci gagne en hostilité. Par ailleurs, le chant est plus articulé et plus intelligible que la majorité de ce qui m’a été donné d’entendre jusqu’à présent. Au niveau du son, il est à mentionner le bruit ambiant de « Blóta Loka » réalisé par Kaos131. Ces 5 minutes et onze secondes donnent l’impression de surprendre à la radio les ondes perdues d’une messe infernale (dédiée à Loke). Cette réception se caractérise par beaucoup de statique, d’écho et de stries auditives qui menacent même d’engloutir à quelques reprises tout le discours. Il n’y a pas l’intervention d’instrument, donc aucune musique n’est composée ici, qu’une cérémonie incantatoire. C’est à la fois inquiétant et fascinant; Loke et Ragnarok sont les mots qui se reconnaissent le plus. Quelques pièces se distinguent également pour leur lenteur ou leur caractère répétitif : « Formála » en particulier, et puis « Sú Vitran » plus réfléchie vers la fin, ou « Dauðmellin » qui, bien rythmée, possède une partition assez récurrente en elle-même, de même que « Nákjeptir » qui agit de la même façon. Reste « Eksortna », une instrumentale.
Que dire de plus… Antikosmos est d’une hostilité renversante qui en détournera plusieurs. Néanmoins, pour ceux qui, dès la première écoute, seront capables de discerner dans l’agencement des notes quelque chose susceptible d’accrocher l’attention, cet album grandira en vous et toute sa beauté nocive se déploiera tout comme un mortel panorama sibérien; grandiose mais redoutable.