Je me targue d’être un amateur musical exigeant, voire intransigeant. Je ne tolère pas la paresse, les recettes usées ou le plagiat. Un groupe qui se complait dans ces facilités est honni, voire banni de mon espace musical, indépendamment de son statut ou de sa gloire. Inversement, j’accueille avec immense bonheur les albums originaux, qui repoussent les limites du genre ou introduisent des innovations de qualité.
C’est dans cet état d’esprit que j’attendais le nouvel album des suédois de Watain, Lawless Darkness (2010). Des informations filtraient déjà. Des dithyrambes un peu trop appuyées apparaissaient dans mon réseau d’espion, bien au fait de la production de ce disque très attendu. Ça m’a rendu méfiant. Parce que Watain n’est pas n’importe quelle formation de Black Metal. Pilier de la scène suédoise, voire mondiale, ils font partie de l’élite restreinte des groupes cultes, capables d’attirer un vaste public sans se prostituer. D’autant qu’après deux premiers disques devenus classiques (Rabid Death’s Curse en 2000 et Casus Luciferi en 2003), leur dernier effort avait laissé un goût d’œuvre inachevée. En effet, Sworn to the Dark (2007), malgré d’évidentes qualités, comportaient plusieurs titres répétitifs et relâchés, oscillant entre un Black Metal classique dans la forme et un Death teinté de noir à la Dissection (plusieurs des membres de Watain ont fait partie de la mythique formation suédoise dirigée par John Nödtveit). La critique, divisée, a souligné ces faiblesses et le groupe a mis trois longues années pour nous offrir un nouveau sacrifice. Et l’attente en valait la peine.
Mettant à profit une autre nuit d’insomnie, j’ai pu passer cet album en boucle et mon constat est sans appel : il s’agit probablement du meilleur album de Black Metal que j’ai entendu à ce jour. Et je pèse chacun de mes mots. La première chanson extraite en EP, Reaping Death, n’était qu’une mise en bouche. Cet album est un monument dédié au métal sombre, une synthèse presque parfaite des différents courants qui traversent ce genre musical, tout en demeurant homogène, porté par un puissant souffle macabre et épique.
D’emblée, Death’s Cold Dark donne le ton. Ce sera dense et brutal. On reconnaît tout de suite la griffe de Watain. Ça démarre sur les chapeaux de roue, mais rapidement, la composition prend de la profondeur, de la texture. Les changements de rythme s’opèrent naturellement, ajoutant une complexité à l’ensemble. La voix d’Erik Danielsson est graveleuse, comme celle d’un écorché hurlant à la mort. Les surprises s’enchaînent. Malfeitor repose ainsi sur une rythmique typiquement Black’n Roll que ne dédaignerait pas Carpathian Forest, avec l’ajout d’une touche désespérée et de passages plus lents et épiques. Reaping Death, déjà mentionnée, est d’une violence rare, un véritable hymne à la mort, trempé dans le Thrash. Il est impossible de rester indifférent devant une telle décharge d’agressivité, qui ne verse pas dans les excès linéaires à la Dark Funeral. Malgré tout, encore une fois, des passages plus lents et lugubres ajoutent de la force à ce qui deviendra un extraordinaire chant de ralliement en spectacle. Four Thrones a la difficile tâche de suivre cet excellent titre. Après un démarrage en demi-teinte, un rythme martial vient cadencer la chanson. Portée par un jeu de batterie très inspiré, on sent l’influence de la scène suédoise, très axée sur le War et le Brutal Black Metal, mais encore une fois, sans excès. Un cri de loup annonce Wolves Curse, un titre bien balancé, typique de la carrière discographique de Watain, qui s’écoute bien sans être transcendant. La pièce titre est une surprise. Lawless Darkness est en effet instrumentale. Mid-tempo, lourde, chargée d’une puissante atmosphère grâce à une guitare aux aiguës angoissants, elle propose un voyage dans l’abîme. Un titre magnifique. Suit immédiatement Total Funeral, dont les accents Punks doivent être soulignés. À la différence des comiques de Darkthrone, la bande à Danielsson réussit parfaitement à intégrer cette influence insolite dans sa musique, tout en demeurant très Black dans son essence. Seule petite déception, Hymn to Qayin n’a pas l’originalité ou la profondeur des autres chansons de l’album. Elle pourrait se retrouver sur n’importe quel autre disque du groupe et ne propose pas grand-chose de nouveau, hormis un format assez standard, ressemblant à la musique de Dissection. Kiss of Death constitue, quant à elle, une vraie surprise. D’emblée, nous sommes étonné par un format typique du Heavy traditionnel et du Thrash, par les envolées de guitare et la rythmique. Après des passages plus lourds, on revient à des moments qui rappellent les grandes heures du Heavy Metal. Dernière chanson de l’album, Waters of Ain est une pièce fleuve avec ses quatorze minutes. J’ai habituellement horreur de ces chansons, qui m’apparaissent comme du remplissage de dernière minute. Pas dans ce cas-ci. Après une entrée en matière langoureuse, la guitare et la batterie se déchaînent, entraînant l’auditeur dans un véritable torrent. Bien sûr, compte tenu de la durée, des expériences sont tentées. Pendant plusieurs minutes, on perçoit des influences du Heavy, voire du Power, surtout dans les moments où la guitare prend le dessus. Il s’agit de ma chanson préférée de l’album, qui clôt magnifiquement un opus d’une rare qualité.
Quoi ajouter ? Cet album est un classique instantané, qui se hisse d’emblée parmi les œuvres phares du Black Metal. Jamais auparavant je n’avais observé une telle capacité de synthèse chez un groupe. Certains excellent dans leur domaine ou leur sous-genre, mais réussir à unir tous ces styles au sein d’un même disque, tout en conservant une grande harmonie d’ensemble, est un véritable tour de force. Watain a créé une œuvre unique, majeure, au sein d’un style musical jugé saturé par de nombreux amateurs, dont moi. À chaque nouvelle écoute, de nouveaux détails se dévoilent, grandissent au sein de mon esprit. Il s’agit de la marque d’une composition parfaitement maîtrisée. Je ne peux que m’incliner devant un tel effort et les remercier de nous offrir un tel régal. Je donne à cet album une note que je n’aurais jamais cru décerner. Une note parfaite.
Notes. L’album est disponible en plusieurs versions, dont un coffret de collection en cuir, avec différents objets promotionnels, limité à 1000 copies.
http://www.myspace.com/watainofficial