Débutons par une mise en contexte. Le Ragnarök est un événement clé de la mythologie scandinave. Véritable apocalypse païenne, il met en scène l’affrontement des forces du bien et du mal dans une gigantesque bataille, où l’ancien monde sombre dans un chaos indescriptible. Accessoirement, c’est aussi le nom d’un groupe de Black Metal norvégien, qui écume les terres chrétiennes à la recherche de butin depuis 1994.
L’histoire de Ragnarok est parsemée d’embûches. Créé au milieu des années 1990 par Johnto (batterie ; il a aussi participé à la création des groupes Tsjuder et Kharon) le groupe déboule les albums, souvent dans l’ombre de groupes plus populaires. En effet, cette période est marquée par le rayonnement du Black Metal symphonique, et les formations plus extrêmes se retrouvent marginalisées. En outre, même au sein de la confrérie des grandes formations norvégiennes, Ragnarok est en deuxième division, loin derrière des légendes comme Immortal, Gorgoroth et quelques autres qui traversent la décennie ‘90. Malgré des albums brutaux et sans compromis, le groupe stagne et son personnel change régulièrement (quatre chanteurs en six ans), nuisant à sa cohésion et à son image. Tout semble s’améliorer pendant les années 2000, qui voient un retour en force de la scène norvégienne (notamment avec la renaissance de Mayhem). L’album Backdoor Miracle (2004) donne enfin l’espoir que la formation de Sarpsborg pourra obtenir un début de reconnaissance. En vain. Le groupe est mis en dormance par Johnto, qui se consacre à d’autres projets.
C’est en 2008 que Ragnarok renaît de ses cendres. Sollicité pour une série de concerts, le seul membre fondateur restant commence à recruter. Parmi ses trouvailles, on note HansFyrste (chant ; aussi hurleur du groupe Svattjern), qui se signale par des performances vocales particulièrement haineuses. Avec un nouveau line-up et quelques concerts derrière la cravate, le quatuor se met à écrire et en profite pour signer un contrat avec Regain Records.
Le résultat de cet effort est l’album Collectors of the King (2010). Disons-le d’emblée, l’étiquette de True Norwegian Black Metal collée au disque est entièrement méritée. Ce style se démarque des autres sous-genres du Black Metal pour quelques critères (outre la nationalité du groupe) : l’extrême brutalité de la musique ; un son râpeux ; un satanisme intransigeant ; une attitude foncièrement nihiliste et désespérée dans les compositions. Pour cet opus, Ragnarok satisfait à toutes ces exigences. Et même davantage.
Tout débute par un exorcisme. Un prêtre menace Lucifer et l’enjoint de retourner en enfer. Mal lui en prend. Resurrection, récitatif introduisant de l’album, se termine sur le dépècement de l’homme d’église. Simple mise en bouche pour l’apocalyptique Stabbed by the Horns, qui lamine l’auditeur. Ça cogne dur. Une fois le choc passé, on peut se permettre d’apprécier le talent des musiciens recrutés par Johnto pour l’entourer. Malgré la rapidité extrême des compositions, le tout demeure parfaitement maîtrisé. L’album en entier est un concentré de haine. Je ne vois pas d’autres qualificatifs. Une haine cruelle et désespérée, qui donne une âme particulièrement noire à certains titres, particulièrement Burning the Earth ou encore la pièce titre. On retrouve dans cet opus toutes les principales caractéristiques du métal sombre, tel que pratiqué au pays des fjords : du rythme, une très haute vitesse d’exécution et une voix hurlée, déchirée, par un frontman qu’il faudra surveiller dans l’avenir.
Un excellent album d’un groupe qui aspire à faire partie de l’élite du Black Metal norvégien. Et qui pourrait bien y parvenir.
Notes. L’album a été mixé par le bassiste de Marduk, Magnus « Devo » Andersson.
Ragnarok - Myspace