Mine de rien, déjà un cinquième album original pour la formation américaine Between The Buried And Me. Acquérant un statut de plus en plus prestigieux chez les amateurs de musique progressive/expérimentale/ « transgenre », le groupe poursuit là où il nous avait laissé il y a deux ans avec l’excellent Colors, c’est-à-dire vers un éclectique et heureux mélange des genres, des influences, des tempos et des ambiances. The Great Misdirect est selon le groupe leur meilleur matériel jusqu’à date, et si tous peuvent ne pas être de cet avis, force est de constater que BTBAM offre ici un album raffiné et mature.
Cette dernière offrande titre un soixante minute réparti sur six morceaux. Connus pour leurs compositions et arrangements sortant de l’ordinaire, les membres du groupe se surpassent dans cette voie. Sautant frénétiquement d’un genre à un autre à l’intérieur d’une même pièce ou seulement entre elles, quitte à nous faire perdre haleine, la musique se décline autant en version ultra technique rapide avec changements de tempos ahurissants qu’en mode ambiant et calme. Les atmosphères éthérées nappées de synthétiseurs et de voix clean côtoient le blues, le progressif inspiré ou le death metal le plus brutal. Les musiciens se surpassent tous et entremêlent leurs mélodies et harmonies pour créer un son plein, présent et coulant. Chaque pièce, sauf peut-être la plus calme et standard Mirrors, en ouverture, flirte avec le chaos tant sa structure est éclatée et instable. Ce sentiment d’instabilité parcourt tout l’album, par lequel on doit s’attendre à être surpris au détour d’un riff ou d’un morceau. En même temps, cette instabilité et ce passage constant du coq à l’âne peut être considéré comme le point faible de cet album. La cohérence demeure, mais il faut être ouvert d’esprit et savoir à quoi s’attendre, sinon la (trop) grande variété risque d’atténuer le plaisir d’écoute de l’amateur de musique plus « normale ».
Il ne suffit pas de compter sur une extrême complexité pour que la musique soit intéressante, et Between The Buried And Me semble l’avoir compris. Il arrive quasiment jamais que l’on sente un abus de shred ou de technique sans but musical, ce qui malheureusement affecte grand nombre de groupes progressifs et expérimentaux. Ici, le travail des instruments et de la voix en est un de grande qualité. Les vocaux clean et ceux de type plus death metal ou metalcore sont maîtrisés, le synthétiseur n’est pas agressant et trop à l’avant-plan, mais ajoute tout de même un gros plus à la masse sonore, la batterie est sans faille alors que s’enchaînent les changements de tempos, et les guitares et la basse créent harmonies complexes, assises mélodiques et harmoniques ou encore solos envoûtants, le tout dans l’optique de servir le but de la musique avant celui du show-off.
Les influences notables sont très diverses. Le groupe nous entraîne dans un voyage à travers les styles et les époques, ne retenant de son genre metalcore des débuts que quelques influences diverses, pas plus présentes que toutes les autres. Il est très difficile de définir en mots ce que peut évoquer l’écoute d’un tel amalgame, mais il est évident que BTBAM réussit son pari avec brio : la musique est somme toute très intéressante. Alors que des pièces comme Desert Of Song rappellent le progressif plus Pink Floydien des années 70, Decease, Injury, Madness se veut résolument moderne (en général, puisque chaque morceau pourrait en fait en être huit ou neuf…) avec un son plus death metal. La plus électique est Fossil Genera, avec ses parties rappelant autant Mr Bungle que Radiohead en passant par Unexpect et Dream Theater. Ajoutez à cela une Obfuscation qui se rapproche du plus vieux matériel du groupe et l’épique Swim To The Moon, pièce de 18 minutes qui conclut l’album, synthèse active de ce que peut nous offrir ce groupe qui a plus d’un tour dans son sac, et vous obtenez The Great Misdirect, qui malgré tout ce chaos parvient à demeurer cohérent (dans la mesure du possible) et surtout, très intéressant.