Comme je l’ai déjà mentionné précédemment dans une critique de l’album Urkraft de Thyrfing, ce quintette suédois a commencé par l’écriture d’une musique essentiellement folk/viking à laquelle s’est ajoutée, à travers Vannsinevisor (2002) et Farsotstider (2006), de plus en plus d’éléments appartenant à l’univers black metal. Au point tel qu’à ma première écoute de leur cinquième opus Hels Vite, l’aspect folk paraissait s’effacer tant qu’il ne me semblait même plus avoir affaire à Thyrfing mais à un groupe tout autre. C’est qu’un changement majeur dans les membres de la formation s’est opéré peu de temps après Farsotstider : Thomas Väänänen, membre fondateur et précédent chanteur, quitte pour se faire remplacer par nul autre que Jens Rydén, aussi un membre fondateur et dernière voix de la fameuse formation black mélodique Naglfar. Je reviendrai sur la question vocale plus tard, car Mr Väänänen n’est pas le seul à quitter le navire, Henke Svegsjö, anciennement au poste de la guitare, prend lui aussi les voiles. Cependant, personne ne vient succéder à ce dernier pour l’enregistrement de l’album, ni même par la suite. Pour le changement que cela opère sur la question musicale, j’y reviendrai également.
Vous savez peut-être depuis le temps à quel point l’aspect mythologique, historique et linguistique m’intéresse tout autant chez mes groupes favoris que la musique même : Hels Vite n’y échappe donc pas. Car, bien que le son de ce dernier se situe définitivement dans un environnement sombre et glacial, plus apparenté au métal noir qu’au caractère souvent épique du métal d’inspiration viking et folklorique, cet album ne s’est pas dépareillé de ses armes séculaires. Ainsi, la formation suédoise reste avec sa figure : Thyrfing écrit symétriquement en dent de scie auquel milieu se trouve la récalcitrante épée maudite du même nom qui allait et venait d’une légende à l’autre dans les différentes et prolifiques sagas norroises. De plus, le titre même de l’album fait intrinsèquement référence à la fille de Loke, Hel, régnant sur le monde perpétuellement glacial de Nifelheim, et à son conseil ou son avertissement (Vite). La peinture ou le dessin de la couverture est stérile de toute couleur, possiblement décrivant l’état de choc des morts à se retrouver dans l’univers aride et infertile à toute chose hormis du désespoir inhérent à cette dimension de l’existence selon la mythologie scandinave. Les autres indices de cette constante inspiration du groupe se trouvent dans les paroles des sept pièces de l’album. Celles-ci présentent un ratio de trois morceaux anglais pour les quatre autres suédois, ce qui devait certainement s’avérer être un défi pour Rydén dont le travail avec Naglfar se faisait invariablement dans cette première langue.
Si, jusqu’à Farsotstider, les différentes compositions du groupe incluaient souvent – bien qu’en en diminuant un peu l’usage avec le temps – une belle intégration de vocaux clean et une complexité mélodique digne de mention que parvenaient à tisser ensemble la double hache Svegsjö et Lindgren, en plus de la guitare sèche, Hels Vite se retrouve en grande partie — mais pas complètement — dénué de ces deux aspects. Väänänen et Rydén partagent un chant guttural assez semblable pour ne marquer aucun changement aux premiers abords, sauf si on entreprend de les comparer délibérément : alors, il devient évident que le vétéran de Naglfar possède un organe vocal plus grave et sombre que l’ancien manieur de l’épée. Il y a également largement moins de chant clean, néanmoins, Rydén prouve qu’il y parvient tout de même timidement dans la pièce titre « Hels Vite » vers la fin, ou encore dans « Griftefrid » bien qu’il s’agisse plutôt d’une chorale mise sur pied par Toni Kockmut qui n’est pas membre officiel de la formation. Mais ce n’est pas parce qu’il est sans doute plus à son aise dans sa performance vocalique rugueuse que Jens est incapable de variations et de substance : au contraire, « Tre Vintrar - Två Solar » réunit une gamme d’émotions dont la plénitude se précise à mesure que la pièce se développe en intensité et en profondeur. Ce développement est non seulement dû à la capacité de Rydén d’interpréter les paroles de façon effroyablement convaincante, mais aussi au fait que ce morceau constitue l’apothéose de l’album entier. On reste tout de même dans un environnement excessivement lourd et menaçant, mais on sent également que toute la colère, la haine contenue peuvent se déchaîner à tout moment, et ce, grâce à Rydén et sa performance. Au niveau de la musique, c’est évident que l’absence de l’une des guitares a donné à Lindgren une importance mélodique encore plus grande, même si le résultat est plus sobre au final. Son travail s’harmonise maintenant essentiellement avec la bass de Kimmy Sjölund ou encore avec le synthétiseur de Peter Löf. C’est à cette occasion que l’importance instrumentale de Sjölund apparaît clairement. Son rôle n’est pas relégué à la seule assistance rythmique du drum, mais vraiment de donner la base à la mélodie toujours savoureuse de Thyrfing. Je prends encore en exemple « Griftefrid », mais l’impeccable production de l’ensemble de l’album permet de le constater à tout moment, et ce, sans demander un grand effort comme dans la majorité de la production métal. L’importance de la bass est également fondamentale dans « Tre Vintrar - Två Solar », agissant essentiellement comme la seule chaîne qui retient la bête fougueuse que je décrivais plus haut. … Fenris!?
Chaque pièce de l’album s’imbrique l’une dans l’autre de façon naturelle. Généralement amené par la guitare, avec une tonalité variante. Pour « Från Stormens Öga » ou pour « Becoming the Eye », par exemple, celle-ci semble plus rauque, rugosité à laquelle le chanteur vient s’accorder et contre quoi la bass et les synthétiseurs viennent contrebalancer. Quant à la batterie, elle n’est pas le centre d’attraction de cette production, mais, alors qu’elle ne se fait pas oublier non plus, « Isolation » offre un aperçu satisfaisant du savoir-faire de Joakim Kristensson.
Ce que j’aime beaucoup aussi de Hels Vite et ce qu’un admirateur de longue date aurait pu redouter du départ d’une des guitares, c’est que la production ne perd en aucun cas de sa richesse. En effet, l’impression de complexité n’est pas qu’apparence et n’est pas surfaite. Des moments de beauté absolue attendent l’auditeur dans tous les recoins de détail sonore. Il y a de quoi en entendre beaucoup, puisque la moyenne de la durée de chaque morceau est près de sept minutes. Que la pièce soit agressive (« En Sista Litania », « Isolation », « Griftefrid », « Becoming the Eye »), pessimiste, voire sombre (« Från Stormens Öga », « Hels Vite ») ou pleinement intimidante, intense et menaçante (« Tre Vintrar - Två Solar»), Hels Vite est selon moi l’album le plus accomplis de Thyrfing. C’est pourquoi je le recommande chaudement à tout amateur du métissage entre le black et le viking/folk metal.