Pour ceux qui ont une bonne connaissance générale du black metal norvégien, un « one-man band » n'est pas très surprenant. Les raisons peuvent être multiples de cet état des choses (un one-man band, pas le fait que ce soit surprenant); un misanthropisme très prononcé allié d'une mentalité/philosophie individualiste ou indépendante que l'on reconnaît souvent sous le terme de satanisme ne serait qu'un début pour essayer de trouver une raison qui, en définitive, est inutile à étudier. Il n'empêche que c'est souvent un point commun. Leviathan, cependant, si ça ne vient pas des froides contrées scandinaves, mais plutôt de la chaleur plastique de la Californie, aurait tout de même tout le mérite d'appartenir à la tradition norvégienne. Le maître d'œuvre de ce projet inspiré du démon de l'Ouest, amiral des armées navales de Satan, etc., se donne comme nom d'artiste Wrest. Depuis la création de Leviathan en 1998, chose accomplie par ses propres moyens, il a enregistré 3 albums, 2 EP, 6 compilations, réalisé 6 splits avec plusieurs autres groupes de style et de mentalité rapprochés et près de 14 démos. Il a également collaboré avec le groupe Sunn O))), est membre permanent de Twilight et tient les rênes d'un autre projet personnel ainsi nommé Lurker of Chalice. Mais assez parlé de lui.
Son dernier album, Massive Conspiracy Against All Life, est sorti le 25 mars 2008 en Amérique du Nord. Sans avoir eu l'occasion d'entendre la discographie complète qui précède, je m'aventure tout de même à dire que Conspiracy à une qualité sonore, une finition plus délibérée, plus accomplie que par le passé. C'est bien sur relatif : il ne s'agit pas d'une production professionnelle au son pur et clair – c'est du black metal! Et ambiant avec ça.
Massive Conspiracy Against All Life est très bien nommé. À travers ses sept morceaux d'une durée totale de 62 minutes, on assiste à l'élaboration auditive d'une toile de fond de menace indescriptiblement sombre sous une surface rapide, bruyante et acide, le tout collaborant intrinsèquement de façon harmonieuse, insidieusement attirante, mais, en définitive, impitoyable. La meilleure pièce pour illustrer cette atmosphère est sans hésitation « Merging with Sword, Onto Them ». Et si cette dernière ne vous convainc pas complètement, « Made as the Stale Wine of Wrath » pourra sans doute vous faire changer d'avis. Ce troisième morceau a une approche musicale, dans les guitares, qui me rappelle, avec bons souvenirs et un peu de nostalgie, Dissection. « VI-XI-VI » est probablement la pièce qui passe la plus inaperçue, quoique j'aurais de la difficulté à expliquer pourquoi… Elle n'a pas de défaut à proprement parler, elle n'est pas plus ou moins agressive ou mélodique que les autres, en fait, à deux minutes de la fin, elle devient un miasme de presque silence rompu par la bass à la fois discrète et vitale – chose fort intéressante et digne d'intérêt. L'état des choses est rapidement rompu pour revenir au riff général précédent rapide et agressif. Peut-être qu'en fait, si elle passe inaperçue, c'est qu'elle s'enchaîne si bien à la suivante, « Receive the World », que lorsqu'on se rend compte que c'est cette dernière qui joue, on considère qu'elles ne font qu'une. À vrai dire, « Receive the World » à cette étrange façon de faire oublier ce qui venait directement avant. Ce qui la distingue, autrement, serait que chaque instrument semble être plus distinct des uns des autres ici, comparé au reste des morceaux. La voix cependant reste un cri inintelligible. La finale de ce cinquième titre est absolument envoûtante, de la même façon que fonctionnait « Merging with Sword, Onto Them ».
« Vulgar Ascetism » incorpore un riff de guitare répétitif désaccordé dans un univers de souffrance qui happe nos oreilles farouchement. Ce morceau ne nous laisserait de paix que lorsque nos tympans en saignent; c'est l'impression que j'en ai en tout cas. Mais comme je l'ai déjà expliqué plus tôt, l'étrange fascination que la musique exerce sur notre compréhension fait instance de piège sournois : ce serait une plus grande souffrance d'interrompre « Vulgar Ascetism » que de l'écouter jusqu'au bout! Finalement, « Noisome Ash Crown » entame ses premières notes et on a droit ici à près de treize minutes d'une musique nettement plus atmosphérique, plus calme; en apparence. C'est comme une mer lente dont la surface ne laisse rien présager de remous sauf des rides passagères et fugitives d'un Léviathan frôlant la limite de l'air de et l'eau. Mais cette impression est encore passagère. Les dernières trois minutes ressemblent nettement plus au grésillement d'un système électrique bourdonnant. L'effet est absolument dérangeant et douloureux, mais c'est du génie!
Il peut être très difficile de s'insinuer dans l'univers de cet album, requérant plusieurs écoutes successives, mais une fois entré, il est autrement plus difficile d'en sortir. C'est là la virtuosité de cet album : c'est Ansel et Gretel attirés par la maison de pain d'épice, mais qui ne peuvent - ni ne veulent - partir ensuite, et ce, même au détriment de leur vie.